L’ikigaï, Quésako? J’ai entendu prononcer ce mot pour la première fois par un coach en développement personnel, il n’y a pas si longtemps…. Quand je prends « ikigai » comme mot clé sur la base de données PUBMED, pas moins de cinquante articles scientifiques ressortent. Pratiquement tous proviennent d’équipes japonaises, une minorité est en langue japonaise avec parfois un résumé en anglais et un tiers concernent des études réalisées sur les sujets âgés. J’en ai sélectionné près d’une vingtaine (voir sources).
L’ikigai est un concept de bien-être émotionnel unique au Japon. Ce mot indique les raisons faisant que la vie vaut la peine d’être vécue. C’est le secret des japonais pour une vie longue et heureuse. Par exemple, on pourrait dire : « cet enfant est mon ikigai ». Ce mot est aussi utilisé pour faire référence à l’attitude positive d’une personne face à la vie (1) : profiter de la beauté de la nature ou utiliser des moyens naturels et efficaces pour faire face au stress (7). L’ikigai a aussi une dimension dans le temps. Même si quelqu’un a le sentiment que sa vie à l’instant t est sombre, il peut avoir un ikigai s’il a un but dans le futur. Les raisons de vivre ne sont pas nécessairement reliées au statut économique. On peut trouver son ikigai dans plusieurs domaines de vie : le travail, la famille, la communication avec les autres (1).
Mais pas que….
Avoir un but dans sa vie
Avoir un but dans la vie est l’un des besoins humains les plus fondamentaux. Cependant, pour la plupart des gens, trouver leur but dans la vie n’est pas évident (2). Souvent, ils subissent des pressions pour avoir une vie « parfaite » et montrer au monde à quel point ils se portent bien, au lieu de suivre leurs valeurs et leurs passions profondes. Dans un article récent, une équipe européenne propose une aide pour trouver ce but via ce qu’ils appellent « l’artisanat de la vie ». Ce processus s’inscrit dans la psychologie positive et la salutogenèse – une approche qui se concentre sur les facteurs qui soutiennent la santé et le bien-être au lieu des facteurs qui causent les maladies. Cela commence idéalement par une intervention qui implique une combinaison de réflexion sur ses valeurs, ses passions et ses objectifs, le meilleur de soi-même, des plans d’atteinte des objectifs et d’autres techniques d’intervention en psychologie positive. Les éléments importants d’une telle intervention sont :
(1) découvrir ses valeurs et sa passion,
(2) réfléchir sur ses compétences et habitudes actuelles et souhaitées,
(3) réfléchir sur sa vie sociale présente et future,
(4) réfléchir sur une future carrière possible,
(5) écrire sur l’avenir idéal,
(6) noter ses objectifs spécifiques et les plans pour les atteindre,
(7) prendre des engagements publics par rapport aux objectifs fixés.
L’idée est que l’artisanat de la vie permet aux individus de prendre le contrôle de leur vie afin d’optimiser les performances et le bonheur.
L’article cite Bob Moawad :
« Le meilleur jour de votre vie est celui où vous décidez que votre vie vous appartient. Pas d’excuses. Personne sur qui s’appuyer, compter ou blâmer. Le cadeau est le vôtre – c’est un voyage incroyable – et vous seul êtes responsable de sa qualité. C’est le jour où votre vie commence vraiment »(2).
Les 7 besoins associés à l’ikigai décrits dès 1966
Un article de 1999 renvoie sur un auteur japonais qui propose 7 besoins associés à l’ikigai et qui peuvent se combiner (3):
1/ le besoin d’avoir une existence gratifiante,
2/ le besoin de changement et de développement,
3/ le besoin de perspectives futures,
4/ le besoin d’avoir des réponses,
5/ le besoin de liberté,
6/ le besoin de réalisation de soi
7/ le besoin de valeur.
Les besoins associés à l’ikigai ne correspondent pas simplement aux désirs de satisfaction biologique ou sociale mais à des désirs individuels spirituels. Une personne peut avoir des besoins autres que les 7 listés ci-dessus. La force et la combinaison des besoins varient en fonction de chacun. On peut avoir différents besoins liés entre eux de façon complexe ou fusionnés, ou alors avoir un seul besoin. L’ikigai peut être considéré comme étant essentiellement une méthode pour cultiver son potentiel intérieur ou pour donner un sens à sa vie (3).
Indicateur de santé et de bien-être
Les personnes âgées au Japon considèrent l’ikigai comme un composant essentiel de la santé et du bien-être. Cette notion d’ikigai a été utilisée dans plusieurs études comme indicateur de la santé mentale, comme on utiliserait l’analyse des mouvements comme indicateur de la santé physique.
Une étude de 1994 a utilisé une échelle de mesure de l’ikigai chez des lycéens (4). Ceux qui ont une forte motivation
pour atteindre un but sont significativement moins déprimés que ceux qui n’ont pas de motivation.
En 2006, une équipe d’Osaka a voulu savoir s’il y avait une différence entre les sexes sur les facteurs associés à l’Ikigai. Un questionnaire a été distribué parmi 4737 membres d’une agence publique de placement temporaire pour personnes âgées. Avec un taux de réponse de 92%, les résultats de l’enquête révèlent une différence de point de vue sur l’ikigai entre hommes et femmes. Pour les hommes l’ikigai était associé à leur condition physique et socio-économique : le nombre de pièces dans leur résidence, leurs revenus annuels, le nombre de jours travaillés, leur état de santé et le degré de satisfaction de leur vécu. Pour les femmes, les facteurs étaient plus en relation avec la famille et les facteurs psychologiques : la présence d’un époux et la satisfaction de leur vécu (5).
En 2007, une étude à examiné le lien entre les facteurs psychologiques et le risque de cancer du sein. On a demandé à 34497 femmes âgées de 40 à 79 ans de compléter un questionnaire. Sur une période de 7.5 ans, 149 cas de cancer du sein ont été documentés. L’analyse des questionnaires suggèrent que le fait d’avoir un ikigai et d’être décisif diminue le risque de cancer du sein (6).
En 2012, une revue a décrit l’intérêt de l’ikigai chez les bègues. Le bégaiement est un trouble de l’élocution pouvant être exacerbé par le stress. La plupart des bègues se disent anxieux avant et pendant une conversation du fait de la perception négative des autres. Comme l’ikigai contribue à une diminution de l’anxiété, les auteurs soulignent qu’il peut diminuer l’anxiété chez les bègues et diminuer leur bégaiement (7).
En 2017, une étude épidémiologique a montré qu’un degré élevé d’ikigai était associé à un risque réduit d’incapacité fonctionnelle (8). Dans cette étude, 830 japonais âgés de plus de 70 ans ont été suivis pendant 11 ans !
Facteur de longévité
D’autres études cliniques menées sur des milliers voire des dizaines de milliers de personnes au Japon démontrent que l’ikigai est un facteur important de longévité (9).
En 2008, une étude a été conduite sur 2959 japonais âgés de 40 à 74 ans. Sur une période de suivi de plus de 13 ans, les auteurs ont enregistré 249 décès (172 hommes et 77 femmes) : 32 de cardiopathies, 31 d’Accident Vasculaire Cérébral (AVC), 63 de maladies cardiovasculaires et 104 de tumeurs malignes. Les résultats indiquent qu’avoir un but dans la vie très prononcé diminuait le risque de mortalité chez les hommes. La corrélation chez les femmes n’a pu être établie car l’effectif était insuffisant (10).
La même année, une étude a comparé des personnes qui avaient un ikigai avec celles qui n’en avait pas. Sur une période de 7 ans, 43 391 japonais ont été suivis et 3048 décès ont été enregistrés. Les auteurs concluent que les sujets sans ikigai avaient des risques de mortalité plus élevés. Cette augmentation des risques était attribuée aux maladies cardiovasculaires mais pas au cancer (11).
Dans une étude similaire de 2009, 30 155 hommes et 43 117 femmes âgés entre 40 et 79 ans ont été suivis pendant plus de 12 ans. Durant cette période 10 021 décès ont été rapportés. Les résultats montrent que les personnes avec un ikigai avaient un risque de mortalité réduit (12).
Plus récemment, une étude a évalué l’impact de l’ikigai sur le risque de maladies cardiovasculaires chez des femmes nullipares (femmes n’ayant jamais pu donner la vie). La nulliparité est en effet associée à un risque élevé de maladies cardiovasculaires et l’Ikigai est associé à un risque réduit de ces maladies. Un total de 39 870 femmes japonaises âgées de 40 à 79 ans, sans antécédents médicaux de maladies cardiovasculaires ou de cancer, ont été suivies pendant 20 ans en moyenne. Elles ont été réparties en 7 groupes en fonction du nombre d’enfants (0 à 6). Pendant la période de suivi, 2121 sont décédées de maladies cardiovasculaires. Les résultats de l’étude montrent que les femmes nullipares avec un ikigai n’avaient pas de risque accru de mortalité cardiovasculaire. Au contraire, les femmes nullipares ou à parité élevée sans ikigai avait un risque accru de mortalité. Cela suggère que l’ikigai peut atténuer le risque de mortalité par maladies cardiovasculaires chez les femmes nullipares et à parité élevée (13).
Dans toutes les études pré-citées, les sujets devaient répondre à une simple question « Avez-vous un ikigai? »
Evaluation de l’ikigai
La simple et seule question « Avez-vous un ikigai » est la méthode d’évaluation la plus commune et la plus utilisée dans les études sur l’ikigai. Cette méthode a été utilisée pour la promotion de la santé en communauté. Cependant sa validité et sa fiabilité n’ont pas été examinées. Le sens de l’ikigai, qui est culturellement défini comme une évaluation subjective du bien-être des Japonais, est souvent considéré comme un concept émotionnel. Dans ce concept, une personne peut regarder en arrière comment elle a vécu, la joie et la fierté qu’elle a eu dans sa vie ainsi que l’autosatisfaction que cela lui procure. Ainsi, certains chercheurs ont développé des échelles composées de plusieurs éléments pour évaluer les aspects multidimensionnels de l’ikigai (14).
Une étude de 2005 sur la qualité de vie de 1566 séniors, les sujets devaient préciser si leur ikigai était :
– un membre de la famille, un ami ou un proche,
– les voyages,
– une contribution sociale ou une activité de volontariat,
– les loisirs,
– le travail
– aucun (15).
Un article japonais de 2007 propose une échelle comprenant 4 items (Echelle K-1), décrits
en partie dans un article en anglais de 2016 (16) :
– Réalisation de soi et volonté,
– Sens de l’accomplissement de la vie,
– Volonté de vivre,
– Sentiment d’existence.
Dans une autre étude de 2012, les auteurs proposent 9 items (IKIGAI-9):
– J’ai souvent l’impression d’être heureux
– Je veux apprendre quelque chose de nouveau
– Je pense que je suis utile pour la société
– Je suis détendu mentalement
– Je m’intéresse à diverses choses
-Je pense que mon existence est nécessaire pour quelque chose ou quelqu’un
– Ma vie est riche et épanouissante
– Je souhaite développer mes capacités
– Je crois que j’ai un impact sur quelqu’un (17)
Cette échelle d’évaluation prend en compte 3 facteurs : les sentiments optimistes et positifs pour la vie, une
attitude positive et active envers l’avenir et une reconnaissance du sens de sa propre existence. Cette échelle a été utilisée en 2019 pour tester la qualité de vie de patients âgés qui suivaient 2 programmes de rééducation (18).
Autres exemples d’items utilisés en 2016 pour décrire l’ikigai (19):
– le travail ;
– la relation avec des collègues ;
– la relation avec un membre de la famille ;
– des enfants ou petit-enfants ;
– les loisirs ou le sport ;
– être entre amis ;
– faire une activité locale ou de groupe ;
– prendre soin d’une autre personne ;
– la religion ;
– autres (19).
Quel rapport avec le fameux diagramme ikigai?
Alors vous allez me dire mais quel rapport avec ce schéma qui circule partout en France et à l’étranger ? Ce diagramme où 4 cercles se croisent et se recouvrent partiellement, avec au centre le mot ikigai ? Ce diagramme qui aide les gens à réponde à la question : « Que vais-je bien pouvoir faire de ma vie? »
Vous l’avez compris, ce diagramme n’existe pas dans les publications scientifiques nippones. Si vous le montrez à un japonais, il ne saura certainement pas ce que c’est. Non sans peine, j’ai réussi à recoller les morceaux de cette histoire. C’est en fait un certain Mark WINN, fondateur et animateur du blog TheView Inside, qui a eu la génialissime idée de fusionner un schéma – créé en 2011 par un certain Andrés Zuzunaga – avec le concept ikigai (20, 21). Le schéma d’origine a été publié dans un livre espagnol intitulé : « Que feriez-vous si vous n’aviez pas peur? La valeur de se réinventer professionnellement » de Borja Vilaseca. Il apparait à la page 130 au chapitre : le voyage de l’entrepreneur.
Mark WINN a juste eu l’idée de changer un mot sur ce schéma et de le poster sur son blog en 2014. Le post a été viral et aujourd’hui il existe une pléthore de livres et d’articles sur Ikigai, ses avantages et son application dans la vie occidentale. Ce schéma a certainement aidé des milliers de personnes à vivre de leur passion, à trouver leur voie, leur raison de vivre.
Quoiqu’il en soit, l’ikigai permet à chacun de prendre du recul et de prendre le temps de bien réfléchir à
ce qui nous rend heureux…et cela peut changer la vie.
Et vous ? Quel est votre ikigai ?
Connaissez-vous des personnes âgées en bonne santé ou des personnes qui auraient un ikigai sans le savoir ?
Laissez vos commentaires tout en bas de la page.,
Sources
1. ‘Ikigai’ in older Japanese people. Nakanishi N. Age Ageing. 1999 May;28(3):323-4.
2. Life-Crafting as a Way to Find Purpose and Meaning in Life. Schippers MC, Ziegler N. Front Psychol. 2019 Dec 13;10:2778.
3. Kamiya M. Ikigai (in Japanese). Tokyo: Misuzu Shobo, 1966.
4. [Evaluation of a revised « Ikigai » scale and the relationship between motivation for achievement of a purpose and mental
health in senior high school students]. Yoshida K. Nihon Koshu Eisei Zasshi. 1994 Dec;41(12):1162-8.
5. Factors associated with « Ikigai » among members of a public temporary employment agency for seniors (Silver Human Resources Centre) in Japan; gender differences. Shirai K. et al. Health Qual Life Outcomes. 2006 Feb 27;4:12.
6. Psychological attitudes and risk of breast cancer in Japan: a prospective study. Wakai K. et al. JACC Study Group. Cancer Causes Control. 2007 Apr;18(3):259-67.
7. Reducing anxiety in stutterers through the association between « purpose in life/Ikigai »
and emotions. Ishida R. Glob J Health Sci. 2012 Aug 9;4(5):120-4
8. Sense of life worth living (ikigai) and incident functional disability in elderly Japanese: The Tsurugaya Project. Mori K.
et al. J Psychosom Res. 2017 Apr;95:62-67. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28314550/
9. [Relationships between walking hours, sleeping hours, meaningfulness of life (ikigai) and mortality in the elderly: prospective cohort study]. Seki N. Nihon Eiseigaku Zasshi. 2001 Jul;56(2):535-40.
10. Effect of having a sense of purpose in life on the risk of death from cardiovascular diseases. Koizumi M. et al. J Epidemiol. 2008;18(5):191-6.
11. Sense of life worth living (ikigai) and mortality in Japan: Ohsaki Study. Sone T et al. Psychosom Med. 2008 Jul;70(6):709-15.
12. Associations of ikigai as a positive psychological factor with all-cause mortality and cause-specific mortality among middle-aged and elderly Japanese people: findings from the Japan Collaborative Cohort Study. Tanno K.
et al. JACC Study Group.J Psychosom Res. 2009 Jul;67(1):67-75.
13. « Ikigai », Subjective Wellbeing, as a Modifier of the Parity-Cardiovascular Mortality Association - The Japan Collaborative Cohort Study. Yasukawa S. et al. Circ J. 2018 Apr 25;82(5):1302-1308.
14. Relationship of Having Hobbies and a Purpose in Life With Mortality, Activities of Daily Living, and Instrumental Activities of Daily Living Among Community-Dwelling Elderly Adults. Tomioka K. et al. J Epidemiol. 2016 Jul 5;26(7):361-70.
15. QOL models constructed for the community-dwelling elderly with ikigai (purpose in life) as a composition factor, and the effect of habitual exercise. Demura S. et al. J Physiol Anthropol Appl Human Sci. 2005 Sep;24(5):525-33.
16. An analysis of structural relationship among achievement motive on social participation, purpose in life, and role expectations among community dwelling elderly attending day services. Sano N, Kyougoku M. PeerJ. 2016 Jan 28;4:e1655.
17. [The reliability and validity of a new scale for measuring the concept of Ikigai (Ikigai-9)]. Imai T. Nihon Koshu Eisei Zasshi. 2012 Jul;59(7):433-9.
18. The effect on subjective quality of life of occupational therapy based on adjusting the challenge-skill balance: a randomized controlled trial. Yoshida I. et al. Clin Rehabil. 2019 Nov;33(11):1732-1746.
19. The effect of modifiable healthy practices on higher-level functional capacity decline among Japanese community
dwellers. Otsuka R. et al. Prev Med Rep. 2016 Dec 28;5:205-209.
20. http://theviewinside.me/meme-seeding/
21. https://www.cosmograma.com/proposito
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